mercredi 12 octobre 2011

Nous, Princesses de Clèves (Régis Sauder - 2009)

L'adolescence au cinéma a connu multiples formes. Chacun à leur manière, les réalisateurs s'emparent de ce sujet qui ne cesse de les inspirer. Illarante pour Cédric Klapisch (Le Péril Jeune, 1995), angoissante et poétique pour Gus Van Sant (Elephant, 2003 ; Paranoid Park, 2007 ; The Restless, 2011), effrayante pour Mathieu Kassovitz (La Haine, 1995). Laurent Cantet l'a même conduite aux marches du Festival de Cannes (Entre les murs, 2008).




Quoi de mieux pour parler d'adolescence qu'un classique de la littérature ? A la manière d'Abdelatif Kechiche qui, dans L'Esquive (2003), nous avait montré des adolescents jouant sur les répliques de Marivaux, Régis Sauder filme avec une caméra directe mais sensible des élèves de Terminale étudiant le célèbre roman de Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves.

Inspirés par ce personnage qui, à tout juste 16 ans, se livre à la guerre des sentiments, ces jeunes s'expriment à travers les lignes du roman lui-même mais aussi à travers leurs propres mots, comme s'il y avait une continuité évidente entre ce roman du XVIIème siècle et leur réalité. On peut d'ailleurs apprécier ces différentes scènes de la vie lycéenne filmées sur un fond musical tout droit sorti de la cour d'Henri II.  Dans une ambiance très intimiste et avec beaucoup de sensibilité, ils se confient, se livrent à la caméra en trouvant les mots justes et précis pour laisser transparaître ces zones d'ombres qui les préoccupent au quotidien.  La famille, les amis, l'avenir, l'amitié, l'amour,... Les maux s'expriment par les mots. Quatre siècles plus tard, le même bouillonement intérieur, les même préoccupations. Régis Sauder les attrape au vol grâce à sa caméra qui filme sans cesse en gros plan, comme pour s'approcher encore plus près et tenter de percer le mystère qui se cache derrière ces visages Et quels visages ! Loin du cliché de l'adolescent boutonneux, on découvre des visages lisses, purs et surtout expressifs. Ces regards en disent longs, tantôt amusés, tantôt anxieux. Nous sommes ici dans un véritable face à face, les yeux dans les yeux. Ni trop, ni trop peu, cette sincérité en devient presque boulversante, projetant au loin les préjugés sur une jeunesse actuelle amorphe et uniquement cultivée par TF1.

Adepte des documentaires, Régis Sauder a su sans nul doute trouver les mots pour convaincre cette bande de marseillais de se livrer à un tel exercice où il a  fallu se confronter à sa propre image mais aussi à celle des autres. A un âge que l'on connaît comme fragile, vulnérable ou encore ingrat, cela relève presque d'une bravoure remarquable. Pourtant, une transparence transparaît et tout en conservant leur intégrité, ces jeunes laissent échapper des sentiments qui en disent long sur un état d'esprit troublé et intrépide à la fois. Le tout regroupé sous l'oeil exercé de Régis Sauder nous offre un documentaire sincère, intimiste et sensible. Une nouvelle approche du portrait cinématographié.
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Ce n'est pas parce qu'elles ne portent plus de longues robes que les princesses n'existent plus. Tous ces portraits nous le prouve. Car oui, elles sont les nouvelles Princesses de Clèves.

mercredi 16 mars 2011

Le discours d'un roi (Tom Hooper - 2011)

Colin Firth et Helena Bonham Carter


Période post-Oscars oblige, une séance de rattrapage s'imposait. Sans attendre le Printemps du cinéma (les 21, 22 et 23 mars prochains, 3.50€ la séance. Voilà pour la pub !), je me suis précipitée pour voir Le Discours d'un roi.
Meilleur scénario original, meilleur acteur, meilleur réalisateur et pour terminer, meilleure film, la barre est haute et je serai intransigeante !

Le scénario de David Seidler semble osé : combler un film de deux heures avec un sujet tel qu'un trouble de l'élocution (ici, le bégaiement), ça surprend et peut peut-être en refroidir quelques uns. Et pourtant, le scénario est judicieusement bien tissé. Toutefois, petite ombre au tableau, j'ai légèrement perdu le fil au milieu, trouvant la trame un peu longue. Mais la fin du film approchant, on s'y replonge immédiatement, retenant notre souffle à chaque mot formulé pour savoir si, enfin, il va pouvoir prononcer son fameux discours. Tel un véritable thriller, la tension est palpable même à l'écran. Les traits sont tirés, les mâchoires crispées, et c'est tout l'espoir d'un peuple qui repose sur ce personnage qui incarne paradoxalement aussi bien la souveraineté que l'angoisse et la fragilité. On sent alors que la problématique va bien au-delà de la situation politique du pays, mais qu'il s'agit bien de l'histoire de ce roi considéré comme inapte à la fonction royale mais sans aucun doute soutenu et hautement respecté par son peuple, et c'est là tout l'art d'être Anglais.

L'art du film, quant à lui, c'est d'avoir su insérer des pointes d'humour, justement placées, et nous révéler de ce roi timide, dont la descendance lui impose une certaine austérité, un tout autre visage de bon vivant. On se rappelera notament de cette scène mythique dans laquelle "Bertie" se délie la langue avec toutes les insultes qu'il est capable d'extraire de son vocabulaire de monarque. Quelle beauté !
Cette légèreté au milieu du mal-à-l'aise, elle repose aussi et surtout sur le remarquable Geoffrey Rush qui interprète l'orthophoniste du roi. La complicité qui s'installe entre les deux personnages est un véritable lien qui va bien plus loin que la traditionnelle relation patient-thérapeute, fondée sur beau principe humaniste : considérer l'autre comme son égal.

Colin Firth
Belle performance pour Colin Firth, longtemps cantonné aux rôles de gentleman quadragénaire so british (notament dans la saga de Bridget Jones ou encore Love Actually). Dans Le discours d'un roi, on le retrouve encore plus british que jamais, certes, mais il a désormais cette vraie sensibilité qui témoigne d'un réel talent, bien loin de la pseudo-sensibilité niaiseuse de ses rôles précédements cités. Ici, il se livre dans une belle interprétation d'un personnage un peu gauche et sans aucune confiance en lui, prêt à tout pour mener son propre combat, même s'il lui en coûte un effort considérable. Dans un élan de libération, l'acteur a même assuré "avoir la sensation que [sa] carrière avait atteint un sommet" lors de la remise du précieux Oscar, mérité, du meilleur acteur il y a tout juste deux semaines. J'aurais aimé dire qu'on attend le grand Colin Firth au tournant, mais il semble que son prochain projet soit le troisième volet des aventures de Birdget Jones. Il va donc falloir patienter pour admirer à nouveau le talent (caché ?) de l'acteur le plus anglais du moment.




mardi 15 février 2011

Black Swan (Darren Aronofsky - 2011)


"Est-ce un thriller fantasticohorrifique sur une femme qui se transforme en un cygne démoniaque, ou bien le portrait, fascinant d’une artiste ambitieuse qui perd la raison sous une pression extrême ?" Mark Heyman, le scénariste.


Natalie Portman

A la sortie de la salle, on a l'esprit tellement emberlificoté qu'on ne sait même pas par où commencer. Est-ce qu'il faut d'abord parler de la performance magistrale de Natalie Portman ? Du scénario merveilleusement construit ? Ou bien de ce jeu de caméra qui sait filmer les corps et la danse, pas par pas, avec une étroite justesse ?

Commençons par le commencement.
Pendant deux minutes trente, Aronofsky nous offre un formidable plan-séquence qui montre la protagoniste danser sur l'introduction du Lac des Cygnes. D'entrée, nous voilà prévenus : c'est vraiment Natalie Portman qui danse, c'est pas du toc. Une façon de dire t'as-vu-comme-j'ai-bossé-et-rien-que-pour-ça-je-mérite-mon-Oscar. Mine de rien, ça en bouche un coin... Et puis, en plus de l'actrice, c'est la présentation de son personnage, Nina Sayers. Deux minutes trente pour évoquer l'évolution et le tourment d'une jeune ballerine. Les bases du film sont posées tel un véritable prologue d'opéra. Ça s'annonce (très) bien.


Natalie Portman et Vincent Cassel

Nina est l'image-type de la ballerine : une mère étouffante qui fonde tous ses espoirs frustrés en elle, une discipline mené d'une main de fer, des chignons, des tutus, des rivales et un maître de ballet manipulateur. Un peu cliché me direz-vous. Sauf qu'ici, le réalisateur de Requiem for a dream et The Wrestler choisit de se centrer sur la complexité d'esprit de son personnage poussée à l'extrême, comme à son habitude.
Nina est donc choisie comme première danseuse au sein du New York City Ballet pour le célèbre Lac des Cygnes de Tchaïkovsky. Elle doit alors pour cela parvenir à interpréter à la fois le cygne blanc, pur, fragile et innocent, et le cygne noir, sa soeur jumelle et pourtant diamétralement opposée. Deux personnages en un. C'est là que tout se corce que le scénario se ficelle petit à petit pour devenir un véritable thriller psychodramatique fascinant. Jusqu'où Nina est-elle capable d'aller pour se confronter à son double maléfique ? Ici, on comprend rapidement le duel pervers qui s'installe entre le cygne blanc et le cygne noir, symboliquement interprété par Nina d'un côté et Lily de l'autre, qui est tout ce qu'elle n'est pas : confiante, spontanée, provocante. D'accord, les symboles sont un peu faciles : Nina est toujours habillée en blanc tandis que Lily ne porte que du noir et les T-shirts sont même échangés comme pour bien faire passer l'idée de métamorphose dans la tête du spectateur... Mais ça marche, et, après un léger rictus, on se replonge immédiatement dans le film.
En réalité, Nina comprend que la seule ennemie à laquelle elle est confrontée, c'est elle-même. Entre la pression qui l'entoure et une forme de psychose qui s'accélère, Nina est une véritable boule d'émotions qui nous submerge pendant toute la durée du film. Est-ce un combat physique pour atteindre l'excellence en matière de danse et d'interprétation, ou bien un duel psychique, révélateur de la quête d'une identité certainement refoulée par sa génitrice ? Une chose est sûre, Nina va repousser de plus en plus loin ses limites et même prendre un certain plaisir à côtoyer le côté sombre de sa personnalité, au risque de se détruire. Cygne blanc, cygne noir, qui est-elle vraiment ? La tension augmente jusqu'à l'apothéose finale en chute libre. La métamorphose du personnage (tout comme celle de l'actrice) est complète.


Vincent Cassel et Natalie Portman

Ce rôle si fascinant, c'est Natalie Portman qui l'endosse d'une façon remarquable. Elle trouve ici un rôle enfin à la hauteur de son talent et se détache de cette image d'actrice juvénile qui l'a longtemps suivi depuis ses débuts aux côtés de Jean Reno. Exit Mathilda (Leon, 1994) , Princesse Amidala (inutile de préciser..) ou encore l'irrésistible Sam (Garden State, 2005). C'est un véritable défi que l'actrice israélo-américaine réalise ici, à raison de cinq heures d'entraînement par jours pendant plus de dix mois. Une expérience physique et émotionnelle si intense que si elle n'obtient pas son Oscar la semaine prochaine, je lance une manifestation en tutus au pied de la Tour Eiffel dès le lendemain.


 Côté images, Darren Aronofsky nous a déjà habitué aux images chocs dont il a le secret (on se souvient tous de Requiem for a dream) et c'est sans doute ce qui fait à chaque fois la force de ses films. Dans Black Swan, il nous montre la souffrance du corps au plus près, filmant les pieds meurtris, les traits tendus par la discipline et les dos dans toute leur musculature, ce qui en devient même troublant. Mais au-delà d'un corps torturé par les arabesques et autres entrechats, c'est aussi un corps en éveil, à peine sorti de l'adolescence, que celui de Nina. Sensible au moindre frôlement et à la moindre émotion, c'est à travers ce corps que se traduit l'évolution du personnage jusqu'à sa véritable métamorphose sur scène. Elle se l'approprie un peu plus chaque jour, apprend à le connaître et n'hésite pas à le pousser à l'extrême pour tester ses propres limites. A en juger par les frissons et les gémissements qui parcouraient la salle, on souffre pour elle (ndlr : coup de gueule à tous mes acolytes anonymes de ce soir là, pauvres petites âmes trop sensibles à la moindre images un peu trop cuisante ou osée. A croire que je deviens totalement asociale au cinéma...). La douleur corporelle donc, sous quelque forme qu'elle soit, est omniprésente et ne fait que refléter la douleur psychologique endurée par la pression du monde si particulier du ballet. Mais bien plus qu'un film sur l'univers de la danse classique, Black Swan est aussi l'histoire d'un esprit fragile et torturé, porté à son paroxysme. 

L'épilogue et le rideau tombent. On se demande même si, à la fin, les spectateurs du film applaudissent la performance des danseurs ou tout simplement le film lui-même. En tout cas, j'applaudis moi aussi.


Natalie Portman